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14 Avr. 2016 / Editorial

Les médecins survivront-ils a la quatrième révolution industrielle ?

Olivier KANDEL

Des heures d'attente dans les services d'urgence. Impossible de prendre rendez-vous en rhumatologie, il faut maintenant écrire dans le service. Plus de radiographie en moins de trois jours. Une proposition d'IRM à chaque demande d'échographie… "Docteur, on manque de médecin dans notre pays, c'est une honte".

On sait depuis des années que l'augmentation de l'offre fait croitre le taux de prescription. Les plus cyniques proposaient même de diminuer le nombre de médecins pour diminuer les dépenses de santé. Plus sérieusement, la disparition progressive de la démarche diagnostique est sans doute une explication plus profonde à l'inadéquation entre les besoins et l'offre. Le médecin moderne n'est plus clinicien. Il ne porte plus crédit aux dires du patient. Il explore, à partir de la plainte, sans analyse préalable, dans une quête inconditionnelle et automatisée d'une éventuelle maladie. On ne parle plus que de constantes, bilans, protocoles dont le médecin est progressivement exclu. A son insu, sans prendre de recul, le piège se referme doucement sur les médecins. Les expérimentations qui testent l'intérêt de l'ordinateur sur le médecin, commencent à être légion. Elles montreraient que les diagnostics et les traitements prescrits par la machine sont 42% plus justes que ceux prescrits par les médecins avec, cerise sur le gâteau, un coût par diagnostic de 200 $, contre 500 pour un médecin (1).

La suite logique est annoncée, si on en croit les tenants de la quatrième révolution industrielle, qui peut faire réellement envisager qu'on ait besoin de beaucoup moins de médecins d'ici une quinzaine d'années.

Des révolutions industrielles, vous connaissez la première, celle de l'avènement de la machine à vapeur. La seconde a trouvé son essor avec l'électricité et la troisième nous la vivons depuis l'informatisation de nos vies. La quatrième donc, sera celle de la digitalisation, de l'Internet des objets, de l'impression 3D, des algorithmes et de la domestication des robots. Selon Pierre Nanterme, la santé et les services publics, seront les secteurs touchés en priorité (2). On imagine bien en effet, ce que deviendra la cardiologie, la neurologie et même la chirurgie parait-il. Nos patients eux même semblent vaciller : " En tant que patient, je ne voudrais pas qu’un robot remplace mon médecin. Mais quelle est la différence de toute façon, si les médecins se comportent comme des robots ? (3)".

Nous avons encore un peu de temps, mais les comptes seront rapidement faits. Si le coût d'investissement et de fonctionnement de ces nouvelles technologies sera sans nul doute élevé, il n'est pas certain qu'il ne concurrence pas à moyen terme celui de 10 années de formation pour un médecin et de salaires somme toute honorables, avec une efficience au mieux égale. Une fois standardisées et automatisées, les procédures seront gérées par des techniciens de santé, relayées par des robots, le tout certifié par l'ARS !

Faut-il s'insurger, se battre contre ce qui nous semble intimement insatisfaisant ? Il en ira sans doute comme de la peur du train ou celle de l'ordinateur dans nos cabinets. Certaines villes ont refusé de construire une gare, comme Tours ou Orléans. Le train est pourtant passé, mais au large. La seule manière de résister à ce principe de réalité, sera de justifier la valeur ajoutée du médecin par rapport à cette transition technologique. Le médecin peut-il optimiser la performance des machines ?
La piste est peut-être de revenir aux fondamentaux, comme disent les rugbymen. A la base étaient le patient et la clinique. Deux éléments qui ont justement été abandonnés par la médecine contemporaine.

Sur le premier point, effet collatéral des lois sur le droit des patients, le regard sur le patient s'est inversé dans une peur de l'autre, instrumentalisée par le fameux "médicolégal" inculqué aux étudiants. On lui confisque son symptôme pour l'explorer, comme dit Roland Gori, le malade n'étant plus que le « portevoix de ses plaintes » (4). On le prie de les déposer à la porte de l'hôpital. A la sortie on ordonne, on éduque, on est dans l'injonction indiscutable, pour une observance très médiocre.

Sur le deuxième point, comment a-t-on pu abandonner la clinique quand on sait qu'un interrogatoire bien mené met sur la piste diagnostique dans plus de 80% des cas ? Comment peut-on fuir dans une quête diagnostique exhaustive quand on sait que plus de 40% les plaintes sont psychosomatiques ? Pourquoi en faire un diagnostic d'élimination ? Pourquoi cette survalorisation française pour l'organique ? Prendre en charge un patient n'est pas explorer séparément chacune de ses plaintes. La plupart des examens dits complémentaires ne servent plus qu'à "documenter" le dossier médical. Beaucoup d'examens morphologiques sont demandés sachant que le résultat n'infléchira pas les décisions.

La médecine exercée au chevet du malade, le retour à ce cheminement clinique, est un moyen d'éviter une partie de nos errements, en avançant au plus près des interrogations et souffrances du patient. Ainsi, fort de cette valeur ajoutée, le médecin de demain, sans crainte, bénéficiera des avancées de la quatrième révolution industrielle, dans l'intérêt de la qualité des soins. Après les illusions du pivot du système de santé et du virage ambulatoire, la médecine générale pourrait bien, cette fois, si son enseignement est à la hauteur du défi, être plus adaptée que les spécialités d'organes, pour répondre à une question incontournable du XXIe siècle.

Olivier KANDEL
Membre titulaire de la SFMG

Ces propos n'engagent que l'auteur





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