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23 Juin 2020 / Editorial

La clinique covid, une incertitude diagnostique gérée par des hyper-spécialistes !

Julie CHOUILLY

Nous avons été en crise sanitaire, pendant 2 mois. Population confinée, vie économique au ralenti, entreprises fermées, médecine libérale contournée, retour au tout hôpital. Il aura fallu un demi-siècle pour avoir une reconnaissance de la pertinence de l'exercice médical en dehors de l’hôpital, et sortir de la définition en creux de notre spécialité. Il aura suffi d'une pandémie de coronavirus pour désorganiser le système de santé.

Une pandémie, un discours descendant de la Direction Générale de la Santé, des Agences Régionales de Santé "hors sol" attachées à produire des recommandations pluriquotidiennes, des informations médiatiques inadaptées, créant une désorganisation des soins en ville, les patients n’osant plus consulter, enjoints à rester chez eux s’ils étaient malades ou à aller voir directement le pharmacien pour leur traitement chronique. Seules les CPAM, connaissant bien l'ensemble du dispositif de soin, ont été à nos yeux, réactives avec des solutions adaptées. Cependant les médecins généralistes sont restés présents auprès de leurs patients, et ont été de bons élèves, malgré l'absence de protection, pourtant annoncée chaque semaine.

Pourtant, nous étions dans notre élément : la gestion de l’incertitude diagnostique. Quel tableau clinique n’est plus révélateur de cette notion que la Covid ? Cette maladie se manifeste par de la fièvre mais pas toujours, par de la toux, souvent, de la diarrhée parfois, une confusion aussi peut-être, mais elle peut aussi prendre la forme d’urticaire ou de pseudo-engelures. L'anosmie est fréquente mais pas systématique… Devant l'absence de test en ville pendant la période aigüe de l'épidémie, le généraliste, qui devait faire barrière devant la vague afin d'éviter les hospitalisations, n'était pas dépourvu car il a l'habitude de la gestion du risque en situation d'incertitude. Celle-ci représente 75 % de sa pratique (1). La clinique de la Covid est un syndrome fait de symptômes et de signes cliniques atypiques. Le généraliste, en clinicien, sait faire une synthèse clinique, éliminer les éléments de gravité pour surveiller, se donner du temps et évaluer l'évolution, sans nécessairement "bilanter" pour décider ! Notre démarche diagnostique repose bien sur la gestion en situation d'incertitude. Notre tâche, à notre place dans le dispositif de santé, n'est pas de faire le diagnostic de Covid. Il est de décrire précisément le tableau clinique qui se présente, afin d'avoir un socle sémiologique au temps T, de détecter l'apparition des symptômes et signes d'alerte et d'adapter les décisions médicales en fonction du patient et de sa vulnérabilité.

Nous avons l'habitude de dire que face à l'incertitude diagnostique, nous nous appuyons sur la certitude clinique. Il est donc indispensable pour nous de faire une synthèse sémiologique. Nous le faisons souvent en utilisant la CISP ou le Dictionnaire des Résultats de consultation. Grace à ce relevé sémiologique regroupé en syndrome, entité cohérente, nous pouvons élaborer une stratégie dite de cyndinique, d'analyse du risque. Devant ce tableau, les risques, que nous appelons Diagnostic critique (DiC), sont habituellement nombreux. On pense à la méningite... Actuellement le danger principal, à la criticité la plus forte est la Covid. Notre démarche cyndinique est donc centrer sur cette maladie.

Le tableau ne se limite pas à ETAT MORBIDE NON CARACTERISTIQUE, d'autres affections sont à prendre en compte dans le cadre de la Covid. On pense à la bronchite, la pneumopathie et toutes les atteintes des voies aériennes supérieures caractérisées. L'important est d'avoir en priorité un relevé clinique précis. C'est la première condition à remplir pour assurer une évaluation rigoureuse dans le temps.

Mercredi on nous annonce en urgence que l'infection peut débuter par de la diarrhée et vendredi que l'anosmie est fréquente… Là n'est pas l'important car quel que soit le symptôme, le syndrome est, et reste, non caractéristique. On nous alerte sur le risque de retard de diagnostic, mais il n'y a pas de diagnostic ! Il n'y a qu'une mise en surveillance de tableaux évocateurs, afin de ne pas orienter trop vite vers l'hôpital qui ne peut recevoir tous les patients.

Le généraliste est obligé de réviser son résultat de consultation initial, pour peu qu'il ait réalisé son relevé clinique correctement, dans seulement 5% des cas (2). Il oriente ou hospitalise ses patients dans moins de 6% des cas (3). Ce qu'on attendait de nous n'était ni plus ni moins que cela. La difficulté était de n'envoyer le patient ni trop tôt, ni trop tard. Dans le premier cas on nous reprocherait de ne pas assurer le "barrage", la retenue de la vague et dans l'autre, de l'avoir fait trop tard, entrainant une perte de chance pour le patient.

Il est donc surprenant que les généralistes, les derniers cliniciens de notre pays, n'ait eu le droit au chapitre dans le dispositif de crise, aussi bien localement qu'au niveau national. La notion inopérante de "retard de diagnostic" illustre bien cette peur de l'incertitude et l'inadaptation des recommandations qui lui est liée.

Nos experts et autres confrères friands de plateaux télévisés ont ils idée du nombre de patients suivis et surveillés par l’armée de terre des médecins généralistes ? Car selon le Carré de White, quand un patient est hospitalisé au CHU, au moins 250 ont vu leur médecin généraliste pour le même problème de santé (4). Ce dernier chiffre est sans doute plus élevé, dans le cadre de la focalisation par l'épidémie.

Ces milliers de personnes hospitalisées en réanimation sont un drame, mais en sortie de crise, que va-t-on nous dire … ? Que 100% de ces patients ont vu leur MG avant d’être en réanimation, la prise en charge par le médecin généraliste n’évite donc pas l’hospitalisation !

Que sera cette sortie de crise avec les promesses de refinancement du secteur de la santé ? Une réorganisation autour de ce fabuleux hôpital, en souffrance ! Mais peut-on prendre un peu de temps collectivement pour ne pas repartir "tête baissée" vers la course au bilantage à tout prix, aux consultations inutiles de suivi dans un CHU, aux consultations de 2nd recours rendues inaccessibles, aux avis sans adéquation avec les soins primaires, donnés par des confrères sous pression d'une administration hospitalière productiviste ?

Et si nous sortions de cette crise en redonnant de la valeur au raisonnement clinique, à la démarche diagnostique, dans laquelle le patient est lui aussi acteur (5).

Julie CHOUILLY Secrétaire générale de la SFMG
Ces propos n'engagent que l'auteur

 
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1- J.Chouilly, D.Jouteau, P.Ferru et col. Le Dictionnaire des Résultats de consultation®. Sémiologie des situations cliniques en médecine générale. Abrégé de gestion de l’incertitude diagnostique. Edition « Le plaisir de comprendre ».

2- Kandel O, Duhot D, Véry G, et al. Existe-t-il une typologie des actes effectués en médecine générale ? Revue du Praticien Médecine Générale. 2004. 656/657:781-84.

3- Clerc P, Martinez L, Morel F, Lecomte MA. Annuaire Statistique de l'OMG. Documents de recherches en médecine générale. 1998; 52 : 1-36.

4- Green LA, Fryer GE Jr, Yawn BP, Lanier D, Dovey SM. The ecology of medical care revisited. New Engl JMed. 2001;344:2021-5

5- Chouilly J, Jouteau D, Ferru P, Kandel O. Pour un retour au raisonnement clinique, ou comment apprivoiser l’incertitude diagnostique. GMSanté édition. 2019. 195 pages.

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