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11 Dec. 2016 / Editorial

Le "petit risque" : le retour, toujours et encore...!

Jean-Luc GALLAIS

Dans les années 80, le dessinateur Raoul Van Her, illustrait la place du généraliste en France par la scène suivante : deux médecins de grande taille en blouse blanche, avec les attributs ad oc (stéthoscope autour du cou!) croisent un homme de petite taille habillé en "civil" avec sa sacoche, et l'interpelle comme "soigne petit".
Ce petit docteur, vous l'avez reconnu, vous savez bien, celui qui fait de la petite médecine avec ses petits médicaments pour de petites maladies, pour ses petits patients à petits risque. Nous voila ensuite avec une autre dessinatrice Claire Bretécher et son "bobologue" ! Le terme bobologie est toujours repris de façon récurrente (fâcheuse et imprudente) par les professionnels de la santé, même par les généralistes eux-mêmes.

Cette notion de "petit risque" est un raccourci erroné qui illustre de façon simpliste la hiérarchie vécue fréquente au sein du corps médical. Il favorise surtout la confusion entre risque en santé, risque médical, risque assurantiel notamment. Il oppose "bas risque" et "haut risque" et sert d'argument inadapté dans le niveau de prise en charge par la collectivité et l'Assurance maladie. Il déplace dans un même temps la frontière entre régime obligatoire et régime complémentaire, avec les augmentations des primes et des coûts pour les assurés. Au total, le "petit risque" n'est pas sans risque car il réduit l'accès aux soins, réduit les opportunités de prévention médicale, accroit le renoncement aux soins et/ou le R.A.C (reste à charge) d'une large part de la population.

En fait, la gestion des risques est au cœur du métier de soignant, en particulier en médecine générale et en soins primaires. Le médecin traitant qui doit en effet et en permanence répondre à la question implicite et explicite "est-ce grave ?". C'est cette interrogation pronostique sur la gravité possible de tel ou tel signe, symptôme ou maladie qui est le fil rouge conducteur de l'activité médicale. Le suivi dans la durée, c'est à dire la capacité à assurer une vigilance particulière en fonction de l'appréciation des niveaux de risques est la garantie de bonne gestion des risques au sens large.

C'est la raison pour laquelle, il y a plus d'un demi siècle, dès 1964, les travaux du CREDES (devenu l'IRDES) ont porté sur un indicateur de gravité des maladies. Il s'agissait alors de quantifier de façon synthétique des facettes différentes du risque : le risque vital et le risque d'invalidité. Depuis, cet indicateur a servi pendant des décennies dans les études de l'INSEE et du CREDES. Depuis pour la discipline qui traite de la gestion des risques un nom est même apparu : la cindynique.

Ce principe de classification selon le niveau de risque est par ailleurs, le mode de d'orientation service d'accueil des urgences (SAU). il permet un triage intra-hospitalier par les IOA, les Infirmière d'Orientation d'Accueil. Si on applique le concept de "petit risque = non remboursement", plus du tiers des activités des SAU sont concernés (Score ESI - Emergency Security Index) de niveau 3 et 4). Faut-il y voir un illusoire gisement d'économies potentielles sur les 18.000.000 de passages aux urgences hospitalières ?
Au téléphone 15, ce sont les régulateurs téléphoniques qui font ce même nécessaire triage pour mobiliser les ressources ad hoc. Ce sont aussi ces mêmes logique de niveau de risque et de gravité potentielle des femmes enceintes qui fondent les orientations différenciées vers une maternité de niveau 1, 2 ou 3.

En 2003, la typologie SFMG des actes en médecine générale réalisées prend en compte ces aspects en distinguant l'appréciation du risque de gravité de la situation clinique en terme de risque élevé, moyen et faible et moyen. Elle le fait en distinguant la consultation et la visite. Pour cette dernière, les risques élevés sont trois plus fréquents (18%) qu'en consultation (6%) . Le niveau de risque de gravité croit logiquement fortement avec l'âge du consultant et les états multimorbides. Au total, la gestion des risques et des facteurs de risques est la toile de fond quotidienne de l'exercice médical soignant.

A l'interface du champ social et sanitaire, cette fonction d'accueil d'analyse et d'orientation de la médecine générale est le noyau central du rôle du médecin traitant pour le patient, mais aussi le système de santé. Au delà de la pertinence des soins, c'est la fonction de régulation par les soins primaires des systèmes de soins et de santé. Elle favorise l'efficience par détermination pertinente du niveau de soins adaptés selon les besoins et réduit ou évite les hospitalisations évitables, indues ou inappropriées.

En 2002, une des dernières publications du Dr Oscar Rosowsky, généraliste et chercheur, traitait de ces questions à la fois en medecine générale mais aussi dans les autres spécialités médicales. Cette publication avait pour titre "Le management des troubles de santé en médecine de ville. Une gestion raisonnée de la science de danger". Les publications sur site de la SFMG témoignent de l'importance de cette gestion dans les stratégies bénéfice-risques.

Ces quelques rappels, conduisent à s'interroger sur le caractère déraisonnable de l'appellation du "petit risque" et de ses mésusages possibles ou envisagés....

En matière de santé individuelle comme de santé publique il y a les risques que l'on court et les risques que l'on prend. Avec la population et les professionnels de la santé, les responsables politiques et gestionnaires actuels et futurs sont également concernés ! Ces derniers peuvent-ils vraiment faire l'économie...de la réflexion !



Jean Luc Gallais
Membre titulaire de la SFMG

Ces propos n'engagent que l'auteur



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