Accueil > Actualites > Editorial > Le miroir du paiement à la performance et ses paradoxes.

21 Fev. 2012 / Editorial

Le miroir du paiement à la performance et ses paradoxes.

Par Jean-Luc Gallais

Editorial

Le paiement à la performance, traduction littérale de Pay for Performance** (P4P), centré sur le médecin généraliste traitant, fait partie des incitations pouvant laissant supposer que les résultats sanitaires et la qualité des soins seraient essentiellement l'effet de la mise en œuvre des compétences de tel ou tel professionnel, les usagers/patients et les contextes étant négligeables.

Cette lecture individualisée des "bons" ou "mauvais" résultats est en contradiction même avec la notion de co-déterminants de la santé comme de la maladie. La formulation affirmant que la santé se construit dans la famille, à l'école et au travail permet clairement d'entrevoir l'enchainement dans le temps comme dans les lieux de vie des facteurs jouant des rôles décisifs. Le constat de l'apparition précoce, dès 6 ans, des inégalités sociales de santé (ISS) est un marqueur nous rappelant la modestie de la médecine dans ce domaine. Le poids respectif des facteurs personnels et familiaux est connu, comme ceux des comportementaux, ceux de l'environnement (dont les risques sociaux et expositions professionnelles), avec en dernier, les impacts des actions liées au système de soins lieu même. Si on retient les quelques 15% de l'action médicalisée dans cet ensemble, on ne peut imaginer que cette seule variable puisse être attribuée exclusivement au praticien lui-même.

Ce point est à souligner au moment où la recherche de l'efficience, vise à réduire les effets délétères du morcellement et cloisonnement du système de santé en France.
Le caractère disjoint entre champ médical et social, laisse volontairement dans l'ombre l'exercice médical quotidien, non pris en compte dans les tableaux de bords proposés, voire imposés dans le P4P.

On observe donc des amputations majeures des facteurs essentiels, et ces scotomes de perceptions sont nuisibles à tous : aux professionnels concernés, aux patients-usagers et aux divers maillons de l'institution santé, chacun faisant semblant d'oublier ou amputant à la fois son rôle propre et celui des autres. La part respective et les frontières poreuses des responsabilités individuelles et collectives sont passées sous silence. Les facteurs favorables ou défavorables ne sont pas pris en compte. La variabilité de la valeur cible des indicateurs est largement démontrée non seulement au sein d'une même clientèle pour un professionnel donné mais aussi entre quartiers, villes, département, régions ou entre les pays en lien avec leurs propres valeurs, normes et cultures de références.

Voilà donc bien des limites à cette logique de score de performance comme celle des seuils considérés comme souhaitables (à un moment donné..) pour chaque variable/critère pris en compte.
Ce P4P à la française, sans intégration des variables sociales et professionnelles, est pourtant une opportunité d'expliciter, rendre visible et compréhensible la complexité des individus comme celles des organisations médicales et sociales. Le constat final prévisible de ce miroir réducteur et déformant ne sera en fait qu'un aspect à un instant T, des interactions d'un système complexe dans lequel chacun participe et interagit simultanément ou successivement.

Mais c'est un miroir quand même, et donc une occasion de redéfinir les places des uns et des autres et celles des responsabilités individuelles et collectives. Elle impose une négociation collective pour une clarification des objectifs individuels et de santé publique en distinguant les indicateurs d'état, de production et de résultats. La co-maîtrise de l'analyse distinguera ce qui relève de la production de connaissance, du contrôle et du paiement. Ce travail préalable est indispensable tant pour la pertinence que l'acceptabilité, surtout si on envisage de ce servir de ce type de levier pour alimenter les systèmes d'informations indispensables à toute décision individuelle ou collective.

Jean-Luc Gallais

** Traductions du terme anglais "performance" : exécution, résultats, prestation, spectacle, accomplissement, fonctionnement, représentation, comportement, interprétation, séance,



Contact(s)